Lors de l’examen du caractère descriptif d’un signe, l’appréciation du public pertinent ne doit pas se limiter aux seules langues officielles de l’Union ». Cette appréciation doit se faire au regard de toutes les langues comprises dans au moins une partie de l’UE (Tribunal de l’Union Européenne, 19 juillet 2017, Aff. T-432/16).

La diversité culturelle et linguistique au sein de l’Union européenne (ci-après « UE ») est source de difficultés dans l’appréciation du caractère distinctif d’un signe.

Les marques qui ne sont pas distinctives, et, en particulier, celles qui sont descriptives pour les produits qu’elles désignent, ne sauraient être enregistrées.

Le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (modifié par le Règlement 2015/2424 du 16 décembre 2015) impose une interprétation large de cette exclusion, dans la mesure où il la rend applicable, alors même que les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’UE.

Ainsi, de façon constante, l’EUIPO rejette une demande d’enregistrement de marque de l’Union Européenne, dès lors que celle-ci est descriptive, ne serait-ce que dans une des langues d’un Etat membre de l’UE.

L’appréciation du caractère descriptif d’un signe semble plus délicate lorsque ce signe renvoie à une langue qui, sans être une langue officielle d’un des Etats membres de l’UE, est une langue connue au sein de l’UE.

Cette problématique est traitée par le Tribunal de l’UE (2ème chambre) dans une décision du 19 juillet 2017.

Dans cette affaire, la société LACKMANN FFLEISCH- UND FEINKOSTFABRIK GmbH (ci-après « la société LACKMANN ») a procédé, en 2015, au dépôt d’une demande d’enregistrement de marque de l’UE portant sur un signe figuratif composé du mot « ours » en caractères cyrilliques, pour des produits en classes 29, 30, 31 et 33 et notamment pour de la viande, de la charcuterie et des plats préparés à base de viande.

Cette demande d’enregistrement a été refusée à l’enregistrement par la première chambre de recours de l’EUIPO puis par le Tribunal de l’UE sur le fondement de l’absence de distinctivité, ainsi que du caractère descriptif et déceptif du signe.

Dans la motivation de son arrêt, le Tribunal de l’UE rappelle que le rejet de la demande d’enregistrement d’un signe descriptif s’applique « même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union ».

Cette exclusion est nécessaire car un signe décrivant un produit doit, d’une part, pouvoir être librement utilisé par tous les acteurs du secteur économique concerné et, d’autre part, est impropre à exercer la fonction essentielle de la marque, à savoir l’identification de l’origine commerciale du produit.

Les conditions d’application de l’exclusion sont également réaffirmées.

L’appréciation du caractère descriptif d’un signe suppose :

  • L’existence d’un rapport direct et concret entre ce signe et les produits en cause ; et
  • La prise en compte de la perception qu’en a le public concerné par rapport aux produits désignés.

En l’espèce, c’est sur la définition du public concerné que se sont cristallisées les difficultés.

Le Tribunal de l’UE affirme que « l’examen du public pertinent ne doit pas se limiter aux seules langues officielles de l’Union », et qu’il faut donc tenir compte de la particularité des régions multilingues qui sont présentes en grand nombre sur le territoire de l’UE.

Pour le Tribunal, l’appréciation du public pertinent doit donc se faire au regard de toutes les langues comprises dans au moins une partie de l’UE.

Est donc défini comme étant le public pertinent en l’espèce, le public russophone composé de citoyens des Etats baltes – dont le russe est pour certains la langue maternelle – et des citoyens de l’UE présentant un intérêt pour la culture russe ou ayant étudié cette langue.

S’agissant de la démonstration d’un lien suffisamment direct et concret entre le signe litigieux et les produits désignés, cette décision a été l’occasion pour le Tribunal de l’UE de rappeler certains points de droit.

Le Tribunal rappelle notamment que le fait qu’une expression puisse revêtir plusieurs significations n’exclut pas l’existence d’un caractère descriptif. Il suffit qu’au moins l’une de ces significations puisse être utilisée pour décrire les produits en cause.

Pour affirmer que le signe litigieux sera compris comme une indication selon laquelle les produits sont, ou contiennent de la viande d’ours, le Tribunal de l’UE prend en compte :

  • que le mot ours est très présent dans la culture russe et appartient au vocabulaire de base ;
  • et que les produits désignés renvoient à des produits alimentaires de grande consommation. A ce titre, il est rappelé que l’appréciation du caractère descriptif d’un signe ne doit se faire qu’au regard des produits désignés dans la demande d’enregistrement.

En outre, l’existence d’un seul marché au sein de l’UE, dans lequel le public pertinent peut légitimement considérer que le signe litigieux est descriptif, suffit pour appliquer l’exclusion. En l’espèce, en Estonie, où se situe la majeure partie du public concerné, la vente et la commercialisation de viande d’ours est autorisée et même usuelle.

Le Tribunal considère donc que le fait que la commercialisation de viande d’ours est interdite en Allemagne, pays de commercialisation des produits de la société Landeckman, est inopérant. Une telle justification n’aurait été admise que s’il n’existait pas de marché pour le produit en cause, dans l’ensemble de l’UE.

Enfin, la limitation de la liste des produits en cause par l’ajout de l’inscription « à l’exception de la viande d’ours » sur l’emballage desdits produits, n’est pas considérée comme suffisante pour permettre l’enregistrement de la marque.

La possibilité de la limitation de la liste de produits est prévue par l’article 43 du Règlement 207/2009.

Elle doit répondre à certaines conditions, notamment :

  • la nouvelle liste doit permettre de reconnaitre clairement l’espèce du produit ;
  • aucun autre motif absolu de refus d’enregistrement ne doit être violé par le signe litigieux.

En l’espèce, la limitation proposée est une limitation par la négative de produits présentant certaines caractéristiques. Elle est donc trop large pour pouvoir identifier de façon claire la liste des produits entrant dans le champ de la limitation.

En outre, le signe faisant l’objet de la demande d’enregistrement, viole un autre motif absolu de refus d’enregistrement.

Il est en effet considéré comme étant de nature à tromper le public sur la nature du produit et, de ce fait, inéligible à la protection par le droit des marques.

En effet, un signe trompeur, ne saurait remplir la fonction essentielle de la marque, à savoir l’identification de l’origine du produit.

La limitation proposée par la requérante n’était pas de nature à revenir sur ce caractère trompeur. Le Tribunal de l’UE considère que le public pertinent s’attendra légitimement à ce que les produits visés contiennent de la viande d’ours, ou à minima, imite le gout de cette dernière.

Par une interprétation qui peut sembler particulièrement extensive, le Tribunal de l’UE en vient donc à consacrer le caractère descriptif d’un signe, dès lors que la langue employée dans ce signe est comprise par au moins une partie de l’UE.

Toutefois, il ne donne pas de limite, de minimum à cette compréhension. Il ne précise pas non plus l’étendue territoriale minimale au sein de laquelle cette compréhension doit être caractérisée.

A l’ère de la diffusion exponentielle du savoir, grâce, notamment, aux outils informatiques, le risque est celui d’un rejet trop fréquent des demandes d’enregistrement de marque de l’UE, sur le fondement du caractère descriptif du signe.

Pour pallier à ce risque, le Tribunal de l’UE rappelle toutefois la nécessité de caractériser l’existence d’un lien direct entre le signe litigieux et les produits en cause.