Par un arrêt rendu le 16 octobre 2018, la Cour d’appel de Paris a saisi la CJUE d’une question préjudicielle tendant à savoir si le non-respect du périmètre d’exploitation précisé dans un contrat de licence de progiciel relevait de l’action en contrefaçon ou bien du régime distinct de responsabilité contractuelle de droit commun. 

Il s’agissait d’un litige opposant un éditeur de progiciel à son client pour non-respect des termes de la licence. Le client avait procédé à des modifications du progiciel alors même que les conditions de la licence lui interdisaient expressément de : « reproduire, directement ou indirectement, le Progiciel (…) à l’exception des copies de sauvegarde ; décompiler et/ou effectuer des opérations de rétro ingénierie sur le Progiciel, sauf exceptions légales ; modifier, de corriger, d’adapter, de créer des œuvres secondes et d’adjonction, directement ou indirectement, relativement au Progiciel ».

En première instance, le TGI de Paris avait notamment déclaré la demande irrecevable sur le fondement de la responsabilité délictuelle, faisant valoir que :

  • Il ressortait des articles L.122-6 et L.122-6-1 du code de la propriété intellectuelle l’existence de deux régimes distincts :
  • le régime délictuel, concernant l’atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur prévue par la loi ;
  • le régime contractuel, concernant l’atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur réservé par le contrat.
  • Les faits reprochés relevaient clairement de manquements aux obligations contractuelles prévues par la licence, ce qui justifiait d’écarter l’action en contrefaçon fondée sur la responsabilité délictuelle, au profit de la responsabilité contractuelle.

Cette décision s’alignait par ailleurs avec la solution donnée par une jurisprudence antérieure récente (CA Paris, Ch. 5-1, 10 mai 2016, n° 14/25055, Afpa/Oracle), dans une espèce opposant également un éditeur de logiciel et son client.

A l’issue de la décision de première instance, l’éditeur de progiciel a interjeté appel et demandé à la Cour de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :

  • une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur,
  • ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? »

Cette demande a été accueillie en appel.

Selon la cour d’appel, la question méritait d’être posée puisque l’action en contrefaçon porte, dans sa définition large, sur l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Or, le texte de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, ainsi que les articles L.122-6, L.122-6-1 et L.335-3 du code de la propriété intellectuelle, demeurent silencieux concernant l’articulation entre l’action en contrefaçon et l’action en responsabilité contractuelle en matière de logiciel. Seul le principe français de non-cumul des responsabilités et surtout de primauté de la responsabilité contractuelle pourrait orienter la réponse.

Dans le silence de ces textes, qui n’excluent pas expressément la possibilité d’une action en contrefaçon en cas de contrat en place entre les acteurs concernés, nous devrions bientôt en savoir bientôt un peu plus sur la position de la CJUE en la matière. Nul doute que cette décision sera grandement attendue par les éditeurs.

Références : CA Paris, pôle 5, chambre 1, 16 octobre 2018, RG n° 17/02679