La CJUE sonne le glas du critère de la multiplicité des formes dans un arrêt du 8 mars 2018. La Cour vient en effet énoncer très clairement qu’afin d’apprécier si les caractéristiques d’un produit sont exclusivement imposées par sa fonction technique, il convient d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèle alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard.

La question de l’interprétation des dispositions excluant de la protection par le droit des dessins et modèles les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par leur fonction technique, divise la doctrine et les jurisprudences nationales et communautaires depuis de nombreuses années.

Afin d’apprécier si une caractéristique de l’apparence d’un produit est exclusivement imposée par sa fonction technique, un certain nombre de décisions se sont référées au critère dit « de la multiplicité des formes ».

Selon ce critère, si un même effet technique peut être produit par plusieurs formes différentes, il faut en déduire qu’une forme n’est pas imposée par sa fonction technique et qu’elle peut être protégée par le droit des dessins et modèles.

D’autres décisions, plus nombreuses, « adoptent » régulièrement le critère dit « des contours » selon lequel le caractère inséparable d’une forme et de sa fonction doit être examiné par rapport à la forme sur laquelle un droit d’appropriation est revendiqué.

Dans ce cadre, il a été jugé que la forme doit être asservie à la fonction pour ne pas être protégeable.

Des critères alternatifs ont également pu être appliqués. Ainsi, par exemple, dans une décision du 22 octobre 2009, l’EUIPO (anciennement OHMI) a fait application du critère de l’intention du créateur.

Il a ainsi été considéré que l’appréciation du caractère exclusivement fonctionnel d’une forme doit être « abordé du point de vue d’un observateur raisonnable qui regarde le modèle et se demande si une considération autre que purement fonctionnelle a pu être déterminante pour qu’une caractéristique spécifique ait été retenue ».

Ces approches conduisent souvent à des résultats différents.

Une intervention de la CJUE semblait nécessaire afin de clarifier l’exclusion posée par l’article 8 paragraphe 1 du Règlement sur les dessins et modèles communautaires, lequel dispose qu’« un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ».

La CJUE vient d’apporter des éléments de clarification dans sa décision DOCERAM / Ceram Tec du 8 mars 2018 (affaire C-395/16).

Dans cette affaire, la société DOCERAM, fabrique et fournit à diverses industries des tiges de centrage pour soudage.

Elle est titulaire de plusieurs dessins ou modèles communautaires enregistrés pour des tiges de centrage pour soudage de formes géométriques différentes.

La société Ceram Tec opère sur le même marché et commercialise les mêmes variantes de tiges de centrage.

La société DORERAM a assigné en contrefaçon la société Ceram Tec en Allemagne sur le fondement de ses dessins et modèles communautaires portant sur les tiges de centrage.

Dans le cadre de cette action, la société Ceram Tec a invoqué en défense la nullité desdits dessins et modèles au motif que les caractéristiques de l’apparence des produits concernés étaient exclusivement imposées par leur fonction technique.

Souhaitant obtenir une clarification du critère à appliquer pour déterminer dans quel cas une forme est exclusivement imposée par sa fonction technique, en cause d’appel, la Cour de Dusseldorf a interrogé la Cour de justice par voie préjudicielle sur deux questions.

Par sa première question, elle a demandé à la Cour si, pour caractériser l’existence d’une forme exclusivement imposée par la fonction technique d’un produit, l’existence de dessins ou modèles alternatifs est déterminante ou s’il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé les caractéristiques litigieuses.

Par sa deuxième question, elle demandait également à la Cour si l’appréciation du caractère fonctionnel doit se fonder sur la perception d’un observateur objectif.

Sur la première question, la CJUE répond très clairement que pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement dictées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est « le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard » (point 32).

Elle fonde cette solution sur le fait :

  • que l’apparence constitue l’élément déterminant d’un dessin ou modèle ;
  • que l’objectif des dispositions communautaires en cette matière est de favoriser l’innovation et le développement de nouveaux produits ainsi que l’investissement dans leur production en accordant une protection accrue à l’esthétique industrielle.

Elle considère cependant que l’innovation technologique ne peut être entravée par la protection des caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées sa fonction technique.

Sur la seconde question, la Cour considère qu’afin d’apprécier le caractère fonctionnel d’une forme, il appartient au juge national de tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d’espèce, sans qu’il n’y ait lieu de se fonder sur la perception d’un « observateur objectif ».

A ce titre, la Cour donne quelques indications en précisant que cette analyse doit être opérée au regard :

  • du dessin ou modèle en cause ;
  • des circonstances objectives révélatrices des motifs qui ont présidé au choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné ;
  • des données relatives à son utilisation ;
  • ou encore de l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction ;

pour autant que ces éléments sont étayés par des éléments de preuve fiables.

 

Cette solution est bienvenue dès lors que l’application exclusive du critère de la multiplicité des formes avait pu aboutir par le passé à la protection de caractéristiques purement fonctionnelles d’un modèle.

 

L’analyse du caractère fonctionnel d’une ou plusieurs caractéristiques d’un dessin ou modèle devra ainsi se fonder sur un faisceau de critères dont l’existence de formes alternatives ne sera qu’un critère parmi d’autres.