Dans une affaire de contrefaçon de droits d’auteur, la Cour d’Appel de Paris vient juger dans un arrêt du 6 juillet 2018 que l’indemnisation du préjudice au titre de la contrefaçon doit rester corrélé au préjudice effectivement subi et démontré par le titulaire des droits. Pour la Cour, il n’est pas possible, dans le cadre de l’évaluation du préjudice, de cumuler les conséquences économiques négatives, le préjudice moral et les bénéfices réalisées par le contrefacteur, ce qui reviendrait à instaurer des dommages et intérêts punitifs.

La société Dentelles Sophie Hallette exerce les activités de fabrication, de vente et de représentation d’étoffes, notamment de dentelles et de tulles.

Elle a découvert que les sociétés Mango France, Mango Haussmann proposaient à la vente deux robes fabriquées dans un tissu reproduisant les caractéristiques d’un dessin sur lequel elle revendique du droit d’auteur.

Ce faisant, elle a engagé une action en contrefaçon de ses droits d’auteur (et, de façon classique, a invoqué à titre subsidiaire la concurrence parasitaire).

La société Dentelle Sophie Hallette a été déboutée en première instance. En particulier, le Tribunal de Grande Instance de Paris l’a déclaré irrecevable en ses demandes sur le fondement des droits d’auteur.

Elle a interjeté appel de ce jugement.

Contrairement à l’appréciation des premiers juges, la Cour d’appel juge que la société Dentelle Sophie Hallette est recevable à agir en contrefaçon de droit d’auteur. En particulier, les juges d’appel considèrent que les pièces versées aux débats sont suffisantes à établir une présomption de titularité des droits d’auteur au profit de cette dernière sur le dessin revendiqué.

La Cour considère ensuite que le dessin est original, pour conclure que les dentelles commercialisées par les intimées reproduisent à l’identique la combinaison des caractéristiques de la dentelle sur laquelle la société Dentelle Sophie Hallette revendique des droits d’auteur.

Cet arrêt présente selon nous surtout un intérêt pratique, en ce qui concerne la manière dont la Cour va évaluer le préjudice subi par la société Dentelle Sophie Hallette du fait des actes de contrefaçon de droit d’auteur.

Pour rappel, l’article L.331-1-3, dans sa dernière rédaction issue de la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 dispose que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits ».

En l’espèce, la société Dentelle Sophie Hallette soutenaient que les 3 critères prévus par cet article (conséquences économiques négatives, préjudice moral et bénéfices réalisés par le contrefacteur) doivent être cumulés.

La Cour va au contraire juger que « interprétées à la lumière de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2014 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, ces dispositions impliquent que l’indemnisation, qui demeure corrélée au préjudice effectivement subi et démontré, ne peut en l’espèce être réalisée par un cumul des différents postes […], lequel serait sans lien avec le préjudice subi mais par nature punitif ».

Cette décision, peu favorable aux titulaires de droits, semble trancher (à tout le moins temporairement) une incertitude jurisprudentielle sur la question de savoir si l’ajout de l’adverbe « distinctement » par la loi du la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 commande de cumuler les différents postes de préjudice.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris (3ème chambre, 1ère section) avait déjà eu l’occasion de juger que les différents postes de préjudice ne se cumulent pas, en prenant soin parfois de relever que le titulaire des droits ne pouvait prétendre subir un double préjudice (par exemple, TGI Paris, 3ème chambre, 1ère section, 29 septembre 2016; TGI Paris,  3ème chambre, 1ère section, 26 mai 2016).

Cependant, sa position ne semblait pas figée.

En effet, dans un jugement en date du 18 mai 2017 (toujours de la 3ème chambre, 1ère section), le Tribunal avait estimé qu’il convient de considérer « au titre des critères d’appréciation d’une part, les gains manqués et pertes subies et d’autre part, le profit du contrefacteur, ce qui a été confirmé et clarifié par la rédaction issue de la seconde loi de transposition de la directive en vigueur depuis le 13 mars 2014 ajoutant en effet que ces paramètres doivent être considérés « distinctement » ».

La Cour d’Appel n’avait pas encore eu l’occasion, à notre connaissance de se prononcer de manière aussi claire.

Une position de principe de la Cour de Cassation serait souhaitable et bienvenue pour les titulaires de droits.

En effet, l’interprétation de la Cour devrait logiquement recevoir application pour l’évaluation du préjudice en cas de contrefaçon d’autres droits de propriété intellectuelle. En effet, les textes précisant les critères à prendre en considération sont rédigés de manière quasi-identique en matière de brevets, de marques et de dessins et modèles.

Ainsi, les titulaires de droits pourraient, préalablement à l’engagement d’un contentieux, anticiper avec plus de certitude le montant des dommages et intérêts qu’ils peuvent solliciter du fait des actes de contrefaçon commis par un tiers.